Le cadre juridique des compléments alimentaires : enjeux, réglementation et perspectives

Le marché des compléments alimentaires connaît une croissance exponentielle depuis plusieurs années, avec un chiffre d’affaires dépassant 2,3 milliards d’euros en France en 2022. Ces produits, situés à l’intersection entre l’aliment et le médicament, soulèvent de nombreuses questions juridiques spécifiques. Leur statut particulier nécessite un encadrement rigoureux pour garantir la sécurité des consommateurs tout en permettant l’innovation. De la définition légale aux obligations d’étiquetage, en passant par les procédures de mise sur le marché et la publicité, le régime juridique des compléments alimentaires constitue un domaine complexe où s’entremêlent droit européen et national, contrôles administratifs et jurisprudence évolutive.

Définition juridique et catégorisation des compléments alimentaires

La directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, transposée en droit français par le décret n°2006-352 du 20 mars 2006, établit le cadre juridique fondamental des compléments alimentaires. Selon cette réglementation, les compléments alimentaires sont définis comme « des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique ».

Cette définition juridique distingue clairement les compléments alimentaires des médicaments. Contrairement aux médicaments, régis par le Code de la santé publique, les compléments alimentaires ne peuvent revendiquer de propriétés thérapeutiques ou curatives. Ils relèvent du droit alimentaire et sont soumis au Code de la consommation. Cette distinction fondamentale conditionne l’ensemble du régime juridique applicable.

Les compléments alimentaires peuvent contenir diverses catégories de substances, strictement encadrées par la réglementation :

  • Les vitamines et minéraux, dont les formes autorisées sont listées dans les annexes du décret
  • Les substances à but nutritionnel ou physiologique
  • Les plantes et préparations de plantes
  • Les autres ingrédients comme les probiotiques ou enzymes

Le règlement (UE) n°1925/2006 complète ce dispositif en fixant les quantités maximales et minimales pour certains nutriments. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé dans l’arrêt Solgar Vitamin’s France (C-446/08) que les États membres conservent une marge d’appréciation pour fixer des limites nationales en l’absence d’harmonisation complète, sous réserve de respecter le principe de proportionnalité.

La qualification juridique d’un produit comme complément alimentaire ou médicament peut parfois s’avérer délicate. La jurisprudence a développé plusieurs critères déterminants, notamment dans l’arrêt Hecht-Pharma GmbH (CJUE, C-140/07). Un produit contenant une substance ayant un effet physiologique, sans effet thérapeutique significatif et ne présentant pas de risque pour la santé, peut être qualifié de complément alimentaire. En revanche, si le produit est présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives, ou s’il contient des substances à dose thérapeutique, il bascule dans la catégorie des médicaments.

Cette frontière juridique reste mouvante, comme l’illustre le contentieux récurrent concernant certaines plantes qui peuvent être utilisées tant dans les médicaments que dans les compléments alimentaires. La Commission européenne travaille actuellement à l’harmonisation des listes de plantes autorisées pour réduire ces zones grises juridiques qui créent une insécurité tant pour les fabricants que pour les autorités de contrôle.

Procédures de mise sur le marché et obligations déclaratives

La commercialisation des compléments alimentaires sur le territoire français est soumise à un régime déclaratif, contrairement aux médicaments qui nécessitent une autorisation préalable. Cette procédure, moins contraignante mais néanmoins rigoureuse, s’articule autour de plusieurs étapes obligatoires.

En premier lieu, tout opérateur souhaitant commercialiser un complément alimentaire doit effectuer une déclaration auprès de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Cette notification doit intervenir lors de la première mise sur le marché français. Le formulaire CERFA n°15883 doit être accompagné d’un modèle d’étiquetage conforme aux exigences réglementaires. Cette procédure est prévue par l’article 15 du décret n°2006-352.

Pour les compléments contenant des ingrédients innovants non explicitement autorisés par la réglementation européenne ou française, le fabricant doit constituer un dossier plus substantiel. Ce dossier doit comprendre une analyse détaillée démontrant l’innocuité de l’ingrédient et justifiant son intérêt nutritionnel ou physiologique. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) peut être saisie pour évaluer ce dossier.

Le mécanisme de reconnaissance mutuelle, principe fondamental du droit européen, s’applique aux compléments alimentaires. Selon ce principe, un complément légalement commercialisé dans un État membre peut, en principe, être commercialisé dans les autres États membres sans procédure supplémentaire. Toutefois, comme l’a précisé la Cour de Justice dans l’arrêt Commission c/ Allemagne (C-319/05), un État peut s’opposer à cette commercialisation s’il démontre un risque pour la santé publique sur la base d’une évaluation scientifique approfondie.

Cas particuliers et procédures spécifiques

Certains ingrédients sont soumis à des régimes particuliers. Les plantes font l’objet d’une attention spécifique. En France, le décret n°2014-1047 du 15 septembre 2014 a établi une liste de plantes autorisées dans les compléments alimentaires, avec parfois des restrictions d’usage ou des doses maximales. Pour les plantes non listées, une procédure d’autorisation spécifique est nécessaire.

Les Novel Foods (nouveaux aliments) sont régis par le règlement (UE) 2015/2283. Tout ingrédient n’ayant pas fait l’objet d’une consommation significative dans l’Union européenne avant 1997 doit obtenir une autorisation préalable. Cette procédure centralisée, gérée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), vise à garantir la sécurité des innovations alimentaires.

Les compléments contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM) sont soumis aux dispositions du règlement (CE) n°1829/2003, qui impose une autorisation spécifique et un étiquetage approprié.

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En cas de non-respect des procédures déclaratives, les sanctions peuvent être sévères. L’article L.214-2 du Code de la consommation prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende pour la mise sur le marché d’un produit préjudiciable à la santé. La jurisprudence montre une application stricte de ces dispositions, comme l’illustre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 janvier 2018 condamnant un fabricant pour défaut de déclaration préalable.

Étiquetage et allégations : un encadrement juridique strict

L’étiquetage des compléments alimentaires constitue un aspect fondamental de leur régime juridique, soumis à des règles particulièrement strictes. Ces dispositions visent à protéger le consommateur tout en garantissant une information loyale et non trompeuse.

Le règlement (UE) n°1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires s’applique pleinement aux compléments alimentaires. Il impose des mentions obligatoires générales comme la dénomination, la liste des ingrédients, la date de durabilité minimale, ou encore les conditions particulières de conservation. À ces exigences générales s’ajoutent des obligations spécifiques prévues par la directive 2002/46/CE et le décret n°2006-352.

Ainsi, l’étiquette d’un complément alimentaire doit obligatoirement comporter :

  • La dénomination « complément alimentaire »
  • Le nom des catégories de nutriments ou substances caractérisant le produit
  • La portion journalière recommandée
  • Un avertissement contre le dépassement de la dose indiquée
  • Une mention précisant que les compléments ne se substituent pas à un régime alimentaire varié
  • Un avertissement indiquant que les produits doivent être tenus hors de portée des enfants

La question des allégations nutritionnelles et de santé constitue un enjeu majeur pour ce secteur. Le règlement (CE) n°1924/2006 encadre strictement ces allégations en posant un principe d’interdiction générale assorti d’exceptions limitatives. Seules les allégations explicitement autorisées par la Commission européenne après évaluation scientifique par l’EFSA peuvent être utilisées.

La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé les contours de cette réglementation. Dans l’affaire Innova Vital (C-19/15), la Cour a considéré qu’une allégation faisant référence à des notions générales comme le bien-être constitue bien une allégation de santé soumise à autorisation. De même, dans l’arrêt Deutsches Weintor (C-544/10), elle a confirmé que même les références indirectes aux bénéfices pour la santé sont concernées par cette réglementation.

Les sanctions en cas de non-conformité de l’étiquetage peuvent être lourdes. L’article L.441-1 du Code de la consommation sanctionne les pratiques commerciales trompeuses d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros. Les tribunaux français appliquent rigoureusement ces dispositions, comme l’illustre le jugement du Tribunal correctionnel de Nanterre du 7 septembre 2020 condamnant une société pour allégations non autorisées sur des compléments alimentaires à base de plantes.

Pour les fabricants, la conformité de l’étiquetage représente un défi juridique permanent, d’autant que la liste des allégations autorisées évolue régulièrement. Le registre de l’Union européenne des allégations autorisées constitue l’outil de référence pour vérifier la licéité d’une allégation envisagée. À ce jour, plus de 260 allégations ont été autorisées, principalement concernant les vitamines et minéraux, tandis que plus de 2000 ont été refusées, témoignant de la rigueur de l’évaluation scientifique.

Contrôles, responsabilité et contentieux spécifiques

La surveillance du marché des compléments alimentaires mobilise plusieurs autorités administratives dotées de pouvoirs d’investigation et de sanction considérables. Cette architecture de contrôle reflète les multiples dimensions de ces produits, entre sécurité sanitaire et protection économique du consommateur.

La DGCCRF joue un rôle prépondérant dans le contrôle des compléments alimentaires. Ses agents, disposant du statut d’officier de police judiciaire, peuvent effectuer des prélèvements, des analyses, des visites d’établissements et des saisies en vertu des articles L.511-3 et suivants du Code de la consommation. Le plan de contrôle annuel de la DGCCRF cible régulièrement ce secteur, comme le montre le bilan 2022 révélant un taux d’anomalies de 43% sur les compléments alimentaires inspectés.

L’ANSES intervient dans l’évaluation scientifique des risques et gère le dispositif de nutrivigilance créé par la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009. Ce système de surveillance permet de recueillir les effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires. Entre 2010 et 2022, plus de 5000 signalements ont été enregistrés, conduisant à plusieurs avis et alertes sanitaires.

En cas de danger ou de suspicion de danger, les autorités peuvent prendre des mesures de police administrative graduées : demande de mise en conformité, retrait du marché, rappel des produits, voire suspension de commercialisation. L’article L.521-7 du Code de la consommation prévoit la possibilité d’ordonner la destruction des produits dangereux aux frais de l’opérateur. Ces décisions administratives peuvent faire l’objet de recours devant le juge administratif, généralement en référé-suspension compte tenu de l’urgence économique pour les entreprises concernées.

Responsabilité juridique des acteurs

La responsabilité juridique dans le domaine des compléments alimentaires s’articule autour de trois régimes principaux :

La responsabilité pénale peut être engagée pour diverses infractions comme la tromperie (article L.441-1 du Code de la consommation), la mise en danger d’autrui (article 223-1 du Code pénal), ou la commercialisation de produits falsifiés ou corrompus (article L.451-2 du Code de la consommation). L’affaire des gélules minceur Tealine, jugée par la Cour d’appel de Paris le 12 février 2019, illustre cette dimension pénale avec la condamnation d’un fabricant à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d’amende pour avoir commercialisé des compléments contenant une substance médicamenteuse non autorisée.

La responsabilité civile du fait des produits défectueux, régie par les articles 1245 et suivants du Code civil, peut être invoquée par les victimes d’effets indésirables. Ce régime de responsabilité sans faute impose au fabricant de garantir la sécurité à laquelle le consommateur peut légitimement s’attendre. Le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans un jugement du 4 mars 2015, a ainsi condamné un fabricant à indemniser un consommateur ayant développé une hépatite après la prise d’un complément à base de plantes.

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La responsabilité administrative peut conduire à des sanctions financières prononcées par la DGCCRF, pouvant atteindre 15% du chiffre d’affaires pour les manquements les plus graves aux règles de mise sur le marché ou d’étiquetage, conformément à l’article L.522-1 du Code de la consommation.

Le contentieux des compléments alimentaires présente des spécificités notables, notamment en matière d’expertise scientifique. Les tribunaux recourent fréquemment à des experts pharmacologues ou toxicologues pour évaluer la dangerosité d’un produit ou la pertinence d’une allégation. La question de la charge de la preuve est particulièrement sensible : en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, c’est au fabricant de prouver que son produit n’est pas défectueux et non à la victime de prouver la défectuosité, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 25 novembre 2020.

Enjeux internationaux et commerce électronique transfrontalier

La dimension internationale du marché des compléments alimentaires soulève des problématiques juridiques spécifiques, particulièrement accentuées par l’essor du commerce électronique qui facilite les transactions transfrontalières. Cette mondialisation des échanges confronte les acteurs à une mosaïque de réglementations nationales aux exigences parfois contradictoires.

Les disparités réglementaires entre les grandes zones économiques mondiales sont considérables. Tandis que l’Union européenne a développé un cadre harmonisé mais strict, les États-Unis ont opté pour un régime plus souple avec le Dietary Supplement Health and Education Act de 1994. Cette loi américaine permet notamment des allégations plus larges sous forme de « déclarations de structure/fonction » sans approbation préalable par la Food and Drug Administration (FDA). À l’inverse, le Japon a créé une catégorie spécifique, les « FOSHU » (Foods for Specified Health Uses), soumise à une autorisation préalable rigoureuse.

Ces divergences créent des difficultés majeures pour les entreprises opérant à l’international. Un complément parfaitement légal aux États-Unis peut être considéré comme un médicament non autorisé en Europe. La jurisprudence européenne a clarifié certains aspects de cette problématique. Dans l’arrêt HLH Warenvertrieb (CJCE, C-211/03), la Cour a confirmé qu’un État membre peut qualifier de médicament un produit commercialisé comme complément alimentaire dans un autre État membre, sous réserve d’une évaluation scientifique approfondie.

Le commerce électronique transfrontalier amplifie ces défis. La directive 2000/31/CE sur le commerce électronique établit le principe du pays d’origine, selon lequel un opérateur en ligne est principalement soumis aux règles de l’État où il est établi. Toutefois, la CJUE a précisé dans l’affaire Deutscher Apothekerverband (C-322/01) que ce principe ne fait pas obstacle à l’application des règles nationales de protection de la santé publique du pays de destination.

Pour les consommateurs achetant des compléments alimentaires sur des sites étrangers, la situation juridique est particulièrement complexe. Le règlement (CE) n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire permet au consommateur d’agir devant les tribunaux de son domicile, mais l’exécution des décisions reste problématique lorsque le vendeur est établi hors de l’Union européenne. De plus, les autorités nationales peinent à contrôler ces flux transfrontaliers, comme l’a souligné l’ANSES dans son rapport de 2019 sur les compléments alimentaires achetés sur internet.

Face à ces défis, plusieurs initiatives internationales tentent d’harmoniser les approches réglementaires. Le Codex Alimentarius, élaboré par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a développé des lignes directrices sur les compléments alimentaires adoptées en 2005. Bien que non contraignantes, ces normes constituent une référence utile pour les législateurs nationaux et les opérateurs internationaux.

La coopération internationale entre autorités de contrôle se renforce progressivement. Le système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (RASFF) permet aux États membres de l’UE et à la Commission d’échanger rapidement des informations sur les produits présentant un risque. En 2022, plus de 350 notifications concernaient des compléments alimentaires, principalement pour présence de substances non autorisées ou médicamenteuses.

Perspectives d’évolution du cadre juridique et nouveaux défis réglementaires

Le cadre juridique des compléments alimentaires se trouve à un carrefour d’évolutions majeures, sous l’effet conjugué des innovations technologiques, des attentes sociétales et des enseignements tirés de l’application des réglementations existantes. Plusieurs chantiers réglementaires en cours ou à venir dessinent les contours d’un paysage juridique en mutation.

L’harmonisation européenne des règles applicables aux plantes utilisées dans les compléments alimentaires constitue l’un des enjeux prioritaires. Actuellement, chaque État membre dispose de sa propre liste de plantes autorisées, créant des disparités significatives au sein du marché unique. La Commission européenne a lancé en 2021 un processus de consultation en vue d’établir une liste harmonisée, mais les négociations s’avèrent complexes en raison des traditions nationales divergentes. Le projet « BELFRIT« , initiative conjointe de la Belgique, la France et l’Italie visant à harmoniser leurs listes respectives, pourrait servir de base à cette future réglementation européenne.

La digitalisation du secteur soulève des questions juridiques inédites. La vente en ligne de compléments alimentaires, notamment via des plateformes de marketplace, pose la question de la responsabilité des intermédiaires techniques. Le règlement Digital Services Act (DSA), adopté en 2022, renforce les obligations de vigilance des plateformes concernant les produits proposés par les vendeurs tiers. Ces nouvelles dispositions devraient conduire à une jurisprudence spécifique aux compléments alimentaires commercialisés en ligne.

L’émergence des compléments alimentaires personnalisés, élaborés sur mesure grâce aux technologies numériques et à l’analyse des données individuelles, soulève des questions juridiques inédites. Ces produits, à la frontière entre aliment, service et parfois dispositif médical, remettent en question les catégories juridiques traditionnelles. Le Parlement européen a adopté en 2023 une résolution appelant la Commission à élaborer un cadre adapté à ces nouvelles formes de compléments.

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Durabilité et transparence : nouvelles exigences juridiques

Les préoccupations environnementales transforment progressivement le cadre juridique applicable. Le règlement (UE) 2018/848 relatif à la production biologique a établi des règles spécifiques pour les compléments alimentaires biologiques, créant un segment en forte croissance. Par ailleurs, le règlement (UE) 2017/625 sur les contrôles officiels renforce les exigences de traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

La transparence sur la composition et l’origine des ingrédients devient une exigence juridique centrale. Le règlement d’exécution (UE) 2020/1772 a introduit l’obligation pour les fabricants de fournir, sur demande des autorités, des informations détaillées sur les méthodes d’analyse utilisées pour contrôler les teneurs en nutriments déclarées. Cette évolution témoigne d’un renforcement progressif des obligations de justification scientifique pesant sur les opérateurs.

L’adaptation du cadre juridique aux populations vulnérables constitue un autre axe d’évolution. Des travaux sont en cours au niveau européen pour définir des règles spécifiques concernant les compléments destinés aux femmes enceintes, aux personnes âgées ou aux enfants. L’ANSES a publié en 2022 des recommandations appelant à un encadrement renforcé pour ces catégories de consommateurs.

Enfin, la question des allégations demeure un sujet d’évolution permanente. Face au rejet de nombreuses allégations par l’EFSA, des voix s’élèvent pour réformer le processus d’évaluation scientifique, jugé trop restrictif par l’industrie. La Commission européenne a lancé en 2023 une évaluation du règlement (CE) n°1924/2006 qui pourrait déboucher sur une révision des critères d’évaluation, notamment pour les substances botaniques qui bénéficient actuellement d’un moratoire.

La convergence entre médecine personnalisée et nutrition soulève des questions juridiques inédites. Les compléments alimentaires intégrant des recommandations basées sur des analyses génétiques ou microbiomiques se développent rapidement. Ce marché émergent se situe dans une zone grise réglementaire, entre le règlement général sur la protection des données (RGPD), le droit de la consommation et la réglementation des dispositifs médicaux. Le Comité européen de la protection des données a publié en 2022 des lignes directrices sur le traitement des données de santé à des fins commerciales qui impactent directement ce secteur.

Stratégies juridiques pour les acteurs du secteur : prévention et conformité

Face à la complexité du cadre réglementaire des compléments alimentaires, les opérateurs économiques doivent développer des stratégies juridiques proactives pour sécuriser leur activité. Ces approches préventives constituent un facteur de compétitivité dans un marché où les litiges peuvent engendrer des coûts considérables et des atteintes durables à la réputation.

La mise en place d’un système de veille juridique constitue la pierre angulaire de toute stratégie de conformité. Cette veille doit couvrir non seulement les évolutions législatives et réglementaires françaises et européennes, mais aussi la jurisprudence et les positions des autorités administratives comme la DGCCRF ou l’ANSES. Les avis et recommandations publiés par ces organismes, bien que non contraignants, préfigurent souvent les orientations futures des contrôles. Des outils numériques spécialisés permettent désormais d’automatiser partiellement cette veille et d’en améliorer l’efficacité.

La sécurisation juridique du développement des produits doit intervenir dès la phase de conception. L’intégration d’un juriste spécialisé dans les équipes de recherche et développement permet d’anticiper les contraintes réglementaires et d’orienter les choix de formulation. Cette approche préventive s’avère particulièrement pertinente pour les ingrédients innovants ou les combinaisons complexes de substances actives. La Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mai 2018, a rappelé que la responsabilité du fabricant pouvait être engagée même en l’absence de violation caractérisée de la réglementation, sur le fondement du défaut de sécurité du produit.

La constitution de dossiers scientifiques solides représente un investissement juridique stratégique. Au-delà des exigences minimales réglementaires, les opérateurs avisés rassemblent une documentation scientifique exhaustive sur chaque ingrédient : études toxicologiques, données de biodisponibilité, interactions potentielles, etc. Ces dossiers constituent un atout majeur en cas de contrôle administratif ou de contentieux. Le Conseil d’État, dans une décision du 27 avril 2021, a validé la suspension de commercialisation d’un complément alimentaire en soulignant l’insuffisance des données scientifiques fournies par l’entreprise pour garantir la sécurité du produit.

Anticipation et gestion des risques juridiques

L’audit de conformité régulier des produits et de la communication commerciale constitue une pratique recommandée. Ces audits peuvent être réalisés en interne ou confiés à des cabinets spécialisés. Ils permettent d’identifier les non-conformités potentielles et de les corriger avant qu’elles ne soient relevées par les autorités. Un audit complet examine l’ensemble des aspects juridiques : formulation, étiquetage, allégations, publicité, conditions de fabrication et traçabilité.

La mise en place de procédures de gestion de crise adaptées aux spécificités des compléments alimentaires s’avère indispensable. Ces procédures doivent prévoir les modalités de retrait ou rappel des produits, la communication vers les consommateurs et les autorités, ainsi que la coordination juridique en cas de contentieux multiples. L’article L.423-3 du Code de la consommation prévoit la possibilité d’actions de groupe en matière de produits de santé, ce qui augmente considérablement le risque financier en cas de défaillance.

La contractualisation des relations avec les fournisseurs et sous-traitants mérite une attention particulière. Les contrats doivent précisément définir les responsabilités de chaque intervenant, prévoir des garanties de conformité et des mécanismes d’indemnisation en cas de défaillance. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 5 mars 2020, a reconnu la responsabilité solidaire d’un distributeur et d’un fabricant pour un complément alimentaire contenant une substance non autorisée, malgré une clause contractuelle de transfert de responsabilité jugée inopposable aux consommateurs.

La formation juridique du personnel constitue un investissement rentable. Les équipes marketing, commerciales et réglementaires doivent maîtriser les principes fondamentaux applicables à leur domaine d’intervention. Cette acculturation juridique permet d’éviter de nombreux écueils, notamment dans la rédaction des supports promotionnels. La jurisprudence montre que les allégations ambiguës ou les visuels suggérant des effets thérapeutiques constituent les infractions les plus fréquemment sanctionnées.

Enfin, l’adhésion à des syndicats professionnels comme le Synadiet offre un accès privilégié à des ressources juridiques mutualisées et à des échanges avec les autorités. Ces organisations élaborent souvent des guides de bonnes pratiques sectoriels qui, bien que dépourvus de valeur contraignante, sont généralement pris en compte par les juges pour apprécier le comportement d’un opérateur diligent.